Au fil des pages de son journal "Les Montagnes roses" qui vient de paraître chez Eyrolles, la chanteuse Rose se...
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Don Juan
Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre…
A chacun de ses films, Serge Bozon a l’art et la manière de s’attaquer à des genres différents, tout en en détournant, à chaque fois, avec une fantaisie qui lui est propre, les codes. Film de guerre, policier ou fantastique, il n’a jamais pourtant vraiment placé l’action au cœur des récits, préférant s’attacher aux comportements de ses personnages, à leurs psychologies, à leurs tics et à leurs relations singulière au monde. La patte de son cinéma, celle d’une approche anti-naturaliste qui peut surprendre ou dérouter par son côté parfois artificielle et le caractère très écrit, presque littéraire du texte, est pourtant ici mise de côté au profit d’une composition plus classique (donc sans doute accessible à un plus large public) : celle d’une adaptation d’un mythe. Et il n’est pas des moindres, adapté par Joseph Losey et bien entendu Mozart : Don Juan. Le réalisateur a choisi une interprétation très intimiste, voire presque minimaliste. Ici pas de grandiloquence, pas de fracas, pas de dramaturgie outrancière, c’est avant et surtout une histoire d’amour qu’il veut nous raconter, une histoire presque banale entre deux êtres presque ordinaires et l’angle qu’il choisit est celui de l’émotion. Elle sera d’abord l’invitée très discrète de son film, presque une passagère clandestine, puis prendra peu à peu toute sa place pour en devenir l’élement moteur, celle par laquelle tout fait sens, tout converge. Alors sous ses allures de comédie romantique, ce Don Juan aux faux airs de comédie musicale glissera doucement vers quelque chose de plus tragique, de plus sombre, renouant le lien avec l’opéra. Bozon le dit d’ailleurs lui-même « j’avais envie de faire un film dont la trajectoire irait de Molière à Mozart ».
Le résultat est à la hauteur du projet et trouve donc tout naturellement sa place dans la sélection du 75ème Festival de Cannes qui s’est officiellement ouvert mardi 17 mai avec Vincent Lindon comme président du Jury et une sélection comme toujours très soignée.
Concernant les moments chantés du film, ils ne construisent pas vraiment dans le sens classique du terme la partition d’une comédie musicale mais sont le reflets, dans certaines scènes clés, des états intérieures des personnages. Le passage du parlé ou chanté ne se fait jamais sur un rythme désinvolte, mais au contraire dans une sorte de gravité, vécu comme une étape de l’histoire et non comme une simple pause illustrative de la narration. C’est donc un grand et beau film de cinéma qui réussit le tour de grâce de convoquer aussi le théâtre, la danse, et la musique sous ses multiples visages, d’un piano bar à un orchestre symphonique d’opéra.
Mais qui est donc ce Don Juan, version 2022 ? Un homme victorieux et manipulateur, cynique, arrogant, l’homme aux multiples conquêtes, passant de corps en en corps conformément au mythe ? Non… c’est un homme perdu et perdant, sincère et démuni, désemparé. Il n’est pas obsédé par la séduction de toutes les femmes, mais par la reconquête d’une seule : celle qui l’a abandonné et dont il imagine le visage sous les traits de toutes celles qu’il croise. Laurent et Julie se sont aimés, passionnément. Ils sont tous les deux comédiens. Il va bientôt interpréter le personnage de Don Juan dans la pièce de Molière… les répétitions ont commencé à Grandville, dans un théâtre qui donne sur l’océan. Mais Laurent ne parvient pas à se concentrer, il ne pense qu’à Julie, Julie qui s’est évaporé brutalement… et qui va revenir, sous les traits d’Elvire. Est ce un songe ? Une simple pièce de théâtre ou la réalité ? Et qui est cet homme mûr qui tourne autour du théâtre ? Monsieur aux allures mondaines et polies mais à la démarche un peu fantomatique qui semble porter dans son regard bleu un chagrin comme il porterai le plus lourd des fardeaux ? Le rideau rouge s’ouvre…
Caroline Lahbabi (@caro_lahbabi)