Au fil des pages de son journal "Les Montagnes roses" qui vient de paraître chez Eyrolles, la chanteuse Rose se...
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Regarde les hommes pleurer
Tout a commencé sur ce trottoir parisien : face à moi, un fringant quadragénaire roule à vive allure sur un magnifique vélo hollandais. À mesure qu’il s’approche dangereusement, je réalise que l’élégant deux-roues titube de douleur : l’homme pleure à chaudes larmes et ne maîtrise plus sa trajectoire. Il manque de me renverser, et en profite pour me bouleverser.
Ma journée commence donc sur les chapeaux de roue et, tout comme ce cycliste, je ne suis visiblement pas au bout de mes peines.
Quelques instants plus tard, c’est au pied des escaliers vertigineux d’une station de métro que je tombe nez
à nez avec un autre seul pleureur. Planqué dans un coin, le jeune homme est au téléphone, en ligne avec l’objet de son chagrin.
À peine majeur, il tente déjà de dissimuler les ravages des mythes toxiques autour de la masculinité : Un garçon, ça ne pleure pas ! Le flot de voyageurs s’agglutine sur le quai tandis que lui se cache pour exprimer qui il est.
Encore et toujours, la vie persiste et signe. Dans le bus du soir, un jeune trentenaire, costume sombre et casque audio vissé sur les oreilles, vient s’asseoir en face de moi. L’homme laisse lourdement choir sa tête contre la vitre, et plonge son regard dans le vide. Je suis alors aux premières loges pour assister au beau spectacle d’une libération profonde : la naissance d’une larme.
J’assiste au beau spectacle d’une libération profonde : la naissance d’une larme.
J’ai à peine le temps d’admirer sa course folle sur cette joue fatiguée qu’un revers de la main furtif vient gommer ce trop-plein de gris.
Une journée passée à regarder les hommes pleurer. À constater qu’ils ne peuvent plus se cacher. À goûter des yeux leur vulnérabilité. À hésiter, puis se décider à faire demi-tour pour leur porter secours.
À trois reprises, ce jour-là, j’ai tendu un mouchoir à des hommes qui ne s’y attendaient pas.
Par trois fois, ce jour-là, je suis allée tendre l’oreille à ce qui ne se disait pas.
Et je n’ai plus eu d’autres choix que de regarder en face cette part du Masculin qui sanglotait silencieusement en moi. //