Au fil des pages de son journal "Les Montagnes roses" qui vient de paraître chez Eyrolles, la chanteuse Rose se...
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Le pouvoir de l’imagination
Enfant, alors que j’étais bien bordée dans mon lit douillet et que l’on m’avait lu une histoire, je partais à l’aventure en pensée. L’un de mes scénarios préférés : j’amenais un sans-abri à la maison.
Il prenait un bain et ma mère lui coupait les cheveux. Je le voyais se métamorphoser : on lui prêtait des vêtements de mon père, il logeait chez nous et s’avérait très aimable. Cette rencontre était pour lui le début d’une existence paisible, avec un emploi et sa propre maison. J’aimais m’imaginer cette histoire. Je me sentais importante, une bienfaitrice.
Une telle fantaisie était une source infinie de joie et d’espoir. En jouant dans la rue avec mes amis, j’imaginais que j’avais une animalerie, avec des chats et des cochons d’Inde. Plusieurs semaines avant mon anniversaire, je passais en pensée de classe en classe avec sur la tête la couronne multicolore que la maîtresse avait confectionnée pour moi.
Les choses ont bien changé. Cet hiver, j’ai parcouru pendant quatre semaines le Sri Lanka à vélo, et même lors de ces longues journées où j’étais occupée à pédaler, sans dates butoirs ni réunions, mon téléphone rangé dans ma sacoche, mes pensées restaient pragmatiques et réelles. Combien de kilomètres nous reste-t-il ? Est-ce l’odeur des samoussas frais que je sens ? Avons-nous déjà mérité une pause ?
Où était passée mon imagination ?
L’IMAGINATION REND LIBRE
La recherche nous apprend que l’imagination revêt différentes formes : se remémorer des souvenirs, rêver de l’avenir, mais aussi fantasmer sur des événements qui n’ont jamais eu lieu. Aucun animal ne semble posséder cette faculté. « Le pouvoir de l’imagination est la capacité d’imaginer des scénarios détachés de la réalité. C’est quelque chose que seuls les êtres humains peuvent faire », explique le professeur de psychiatrie Damiaan Denys. Le fait que nous puissions “voyager dans le temps mentalement”, comme le décrivent les scientifiques, nous rend plus intelligents que les autres animaux. Selon le professeur, « cela nous permet de créer des choses qui ne sont pas encore réelles et nous aide à nous préparer à l’avenir – comme à la première question posée lors d’un entretien d’embauche, ou à nous faire une idée de ce à quoi le monde ressemblera dans cinq ans si le climat continue à se réchauffer ».
Pendant l’enfance, l’imagination et la réalité s’entremêlent. « Lorsqu’un petit garçon envoie un ballon par hasard dans la bonne direction, il se prend aussitôt pour Messi, déclare Gerrit Breeuwsma, qui étudie l’imagination et le jeu à l’université de Groningue aux Pays-Bas. Il ne pense plus qu’à jouer au football, demande un maillot de son idole pour son anniversaire et se prend vraiment pour une star mondiale lorsqu’il court derrière le ballon avec ses copains. » L’imagination donne aux enfants la liberté de se soustraire aux limites des règles, à la maison comme à l’école. En même temps, et c’est peut-être le plus important, c’est un moteur puissant et enthousiasmant au cours de son développement : « Sans l’imagination, presque tout ce que les enfants entreprennent perdrait son sens. Ils n’aimeraient plus grimper aux arbres, ne construiraient plus de cabanes et ne courraient plus avec autant d’enthousiasme derrière un ballon. » Bref, sans l’imagination, les enfants ne feraient plus autant d’expériences, qui les aident à se transformer en adultes avisés.
RÊVERIES SOCIALES
Là où les enfants ont encore tout l’espace nécessaire pour l’imagination et le jeu, la plupart des adultes – comme moi – sont constamment absorbés par les soucis quotidiens. Et le réalisme qui surgit lorsque l’on a davantage d’expérience de la vie peut tuer l’imagination.
Je ne rêve plus de sauver des gens ; je passe maintes fois devant le vendeur du journal des sans-abri sans lui proposer une douche ou un repas (car dans quoi fourrez-vous votre nez ?). Et le petit footballeur comprend vite que très peu d’enfants de 6 ans marqueront à l’âge adulte le but décisif, devant un stade en délire, contre le Real Madrid.
En outre, notre société stimule le réalisme et la rationalité, commente Anja Visser, professeure de psychologie à l’université de Groningue. « À l’école, nous sommes rappelés à l’ordre lorsque nous rêvassons et les parents enjoignent à leurs enfants de bien réfléchir avant de donner une réponse ou de prendre une décision. Le réalisme est valorisé et la rêvasserie considérée comme inutile ou comme un signe de paresse. »
Et c’est dommage, car l’imagination et le fantasme apportent également aux adultes de la joie, du dynamisme et une plus grande connaissance de soi. C’est ce qu’a montré une étude britannique au cours de laquelle 101 volontaires devaient quatre fois par jour remplir un questionnaire sur leur rêverie du moment. Ils devaient indiquer spécifiquement s’ils songeaient à des thèmes sociaux : par exemple rêvasser au sujet d’un repas avec des amis le soir, ou à propos d’une visite au sauna avec l’être cher. Ce genre de rêvasserie sociale s’est avéré un vrai remontant émotionnel : les gens se sentaient plus joyeux, plus affectueux et plus reliés. L’étude montre qu’une précieuse ressource est nichée au fond de vous. Sans que vous ayez besoin de quelque chose ou de quelqu’un, l’imagination peut vous rendre plus joyeux.
Le fantasme a toutefois aussi une face sombre. « Le pouvoir de l’imagination est un outil qui, en soi, n’est ni bon ni mauvais, affirme le professeur Denys, qui étudie entre autres l’angoisse et les troubles compulsifs. Il peut être une source d’inspiration, mais les personnes présentant des troubles anxieux ou une dépression souffrent souvent d’images effrayantes ou de scénarios d’avenir pessimistes, qui ne cessent de hanter leur esprit. »
UN LIEU BIENFAISANT
Pour utiliser pleinement le pouvoir de l’imagination, l’astuce consiste à la diriger vers son côté positif.
Le psychologue et psychothérapeute Jan Taal, fondateur de l’École de l’imagination à Amsterdam, a conçu différents exercices qui peuvent y aider. Il a fait de l’exploration et de l’exploitation du pouvoir thérapeutique de l’imagination l’œuvre de sa vie. Dans un cabinet plein de couleurs et de matériel de dessin et de peinture, il explique comment il emploie les exercices dans le cadre de sa thérapie. Il aide ainsi ses patients à imaginer un lieu agréable et sûr (voir les exercices à partir de la page 31). Il peut s’agir de n’importe quel endroit ; un lieu imaginaire ou un lieu que l’on connaît déjà.
Le psychologue précise : « L’objectif est que la personne apprenne à connaître complètement cet endroit, en utilisant tous ses sens. Que pouvez-vous y voir, y sentir,
y goûter ? Que ressentez-vous en vous y trouvant ?
Si vous vous l’appropriez, vous pourrez toujours y retourner en pensée, pour en ressentir l’énergie positive. »
Avec la professeure de psychologie culturelle Hans Alma, Jan Taal a étudié ce que les exercices d’imagination comme “le lieu sûr” suscitent chez les personnes vivant une situation difficile. Ils ont ainsi interviewé 22 personnes atteintes de cancer à propos de l’expérience tirée de ces exercices. L’un des résultats est que l’imagination stimule la résilience. Les participants discernaient de nouvelles possibilités dans leur situation difficile. Une femme racontait par exemple que lors d’un exercice avec des cartes marquées de symboles, elle avait dû choisir une image de l’avenir auquel elle aspirait.
Elle avait opté pour une fleur au bout d’une tige pleine de ramifications. Elle avait été atteinte quatre fois du cancer et se sentait davantage une patiente qu’une personne à part entière. Elle ne voulait plus se laisser limiter par cette identité et elle reconnaissait dans les ramifications la possibilité d’y parvenir. Elle s’est rendu compte, par le biais de cette image, qu’elle pouvait opter pour ces ramifications : les cheminements de pensée qui mènent à de nouvelles expériences et à l’épanouissement.
UNE MOMIE DANS LA CAVE
Outre l’amélioration de leur capacité de résilience, les participants ont remarqué que l’imagination mène à une meilleure connaissance de soi. Jan Taal évoque le cas de l’une de ses patientes : une femme d’environ 40 ans, qui était au point mort dans ses relations amoureuses.
Elle avait vraiment envie d’avoir un partenaire, mais n’y parvenait pas. Le psychologue lui a demandé de fermer les yeux, d’imaginer une porte où étaient inscrits les mots “relation amoureuse”, et de la pousser en pensée.
Au bout d’un moment, la femme a raconté qu’elle était arrivée devant un escalier qui descendait vers une cave. Une fois là, elle découvrait une momie effrayante, à demi décomposée. « Ce genre d’image intérieure est un résumé psychique des choses que vous avez vécues, explique Jan Taal. Cette femme avait été honteusement trompée par le passé et la momie à demi décomposée symbolisait l’image qu’elle se faisait de l’homme. »
Ce type d’images inconscientes est très fort : il alimente nos idées sur la réalité et l’avenir, et influe sur notre comportement. Le psychologue commente : « Chez ma patiente, l’image inconsciente d’un homme décomposé alimentait des scénarios d’avenir sur la façon dont les choses tourneraient mal une fois de plus, comment un nouveau partenaire la tromperait très certainement. Ainsi, cette image l’empêchait de tomber amoureuse. » Une momie à demi décomposée n’est pas une image agréable, mais la voir a été finalement libérateur. « Lorsque ma patiente en a pris conscience, elle a pu apprivoiser l’image et apprendre à en avoir moins peur. Et moins elle en a eu peur, plus elle a pu petit à petit la changer, jusqu’à ce qu’elle en fasse l’image d’un homme vivant. Cela l’a aidée à être ouverte à une nouvelle relation amoureuse, qu’elle a connue au bout d’un moment. »
LAISSER VENIR LE VIDE
Pour les adultes, il n’est pas simple d’entrer en contact avec des images intérieures, qu’il s’agisse de rêves naïfs et exaltants de bienfaitrice, comme je le faisais autrefois, ou de la visite de lieux apaisants dans votre tête. Si nous ne voulons pas nous laisser limiter par l’utilité et le réalisme, mais que nous désirons entrer de nouveau en contact avec ce qui n’existe pas, ou pas encore, dans le monde extérieur, nous avons du pain sur la planche. Anja Visser explique : « Lors d’un parcours thérapeutique au cours duquel nous stimulons l’imagination, je vois qu’il est possible d’exercer cette faculté, comme les autres capacités cognitives telles que planifier ou diriger notre attention. Plus vous vous exercez, plus c’est facile. »
Le premier défi qui se présente lors de ce processus d’entraînement est la création d’espace : laisser entrer le vide mental, le calme, et même l’ennui. « Longtemps, le tapis de mousse, les feuilles des arbres et le ciel étaient tout ce qui nous entourait. Cela nous invitait à nous distraire par nous-mêmes », explique le psychiatre Damiaan Denys, qui selon ses dires vivrait la meilleure journée de sa vie s’il passait douze heures, seul, assis sur un tronc d’arbre dans une forêt déserte. Moins il y a de stimuli extérieurs, plus notre imagination a des chances de s’exprimer. « Mais nous avons oublié comment gérer ce vide, comment nous ennuyer. Nous emportons notre smartphone même aux toilettes. Si vous voulez donner une chance à votre imagination, il vous faudra créer de l’espace à cet effet. »
Pendant mon voyage à vélo au Sri Lanka, le vide seul s’est avéré ne pas suffire pour stimuler mon imagination. Mais heureusement, ceux qui ont oublié comment rêvasser n’ont pas besoin d’un trajet thérapeutique complet pour stimuler leur imagination. Les exercices présentés dans les pages suivantes vous invitent à accéder au pouvoir positif et bénéfique de votre imagination. //