Émotions

La peur selon vous

J’ai beau me raisonner, je fuis la tristesse comme la peste, c’est plus fort que moi. Je refuse catégoriquement, par lâcheté assumée, d’aller voir ces films réputés tristes et magnifiques. Même si ce sont des chefs-d’œuvre cinématographiques, je passe mon tour, trop peur d’être submergé par le pathos. En revanche, quand il s’agit d’être là pour mes proches traversant des épreuves, je réponds présent, c’est une évidence. Mais quand la tristesse n’est pas une obligation, je prends mes cliques et mes claques et je file illico presto vers des contrées plus joyeuses, du style vacances à Acapulco !

Cette urgence perpétuelle de rire et de plaisanter, même au fin fond du trou, c’est ma manière d’affronter une des émotions les plus fidèles qui me collent à la peau : la tristesse. Car mine de rien, elle est mon ombre au grand pied, ma vieille compagne qui me trotte sans cesse dans le cerveau. J’essaie bien de l’exorciser par l’humour graveleux, mais parfois elle finit par m’écraser sous son poids.

Avec le temps, j’ai quand même l’impression de mieux l’apprivoiser cette satanée mélancolie. Je relativise mieux certains épisodes douloureux du passé au lieu d’y revenir sans arrêt. On ne peut pas toujours tout justifier par ses vieilles blessures, il faut avancer. Dans les situations stressantes, j’envisage désormais le pire scénario catastrophe pour être paré. Et des fois, quand un scénario légèrement moins grave se produit, je suis proprement estomaquée par cette “bonne” nouvelle !

Avant, je terrais cette fichue tristesse, je la fuyais à tous prix. Jusqu’au jour où j’ai pigé que plus on l’affronte, mieux on s’en débarrasse finalement. Sinon, c’est comme cette créature monstrueuse qui vous traque sans relâche dans ces films d’horreur pour ados. Vous savez qu’elle va finir par vous tomber dessus, tel le démon de “It Follows”. Du coup, j’ai décidé de capituler en lui disant : “Ok, ok, tu veux m’envahir ? Ben vas-y ma vieille, prends tes quartiers, je me rends !”. Et une fois qu’on a laissé cette saloperie de tristesse vous submerger, petit à petit, on peut enfin commencer à remonter la pente.

Ma définition de la mélancolie préférée, c’est celle de Diderot : “le sentiment habituel de notre imperfection”. Une sorte de deuil diffus permanent, sans objet précis en fait. Je sais qu’il existe des gens pour qui cette mélancolie a un côté doucereux, très “saudade” à la portugaise. Mais pour d’autres types comme moi, c’est carrément la maladie dépressive qui vous guette. J’ai dû connaître à peu près toutes les formes de mélancolie au cours de ma vie bohème. Mais cette saudade éternellement mélancolique, très peu pour moi ! J’ai plutôt une pulsion de vie chevillée au corps qui me pousse à chercher la joie à tout prix. Dans la saudade, y’a un truc trop léthargique, presque complaisant qui me hérisse. Certains se voient bien dans la pose lascive d’un film de Visconti, moi je préfère l’autodérision des Monty Python à tous les coups ! Ce besoin vital de déconner et de prendre la vie du bon côté vient sans doute du fait que la plupart du temps, je suis bourré d’une mélancolie à me péter la cervelle. Quand elle s’amène, je la sens tellement noire et paralysante que je peux pas me permettre de la remuer, c’est trop risqué pour moi.